Tribune : le temps de la coopération politique

Face à l’histoire et à la montée du repli identitaire et national comme réponse aux crises de civilisation que nous traversons, un petit focus sur la notion de coopération semble intéressant à faire, en tant qu’ingrédient-remède aux logiques de division. 

Même si les équilibres européens sont plus ou moins maintenus au Parlement Européen, la France fait face à un séisme politique et culturel en voyant l’extrême droite confirmée en tête des résultats aux élections, qui signe une volonté de démanteler le Pacte Vert européen et de déconstruire le travail de lutte contre la crise climatique, sociale et démocratique. 

Le coup de poker joué par Emmanuel Macron avec la dissolution de l’Assemblée nationale et sa référence à l’Arc Républicain met la gauche au défi de se rassembler à nouveau et de coopérer. Il semble que ce mouvement vers le rassemblement des forces soit appelé à se constituer de manière solide et profonde et pas seulement stratégique et temporaire. La gauche doit repenser son commun, trouver un cœur qui organise et articule sa diversité. 

Dans un monde structuré sur la compétition, et dans la sphère politique dont l’essence même est de faire vivre la conflictualité sociale, la coopération n’est pas facile ni spontanée. L’histoire pousse à un travail d’organisation et de liaison pour construire des pratiques et des politiques qui favorisent la confiance mutuelle, le respect et la reconnaissance des contributions de chacun. La gauche doit se mettre en cohérence avec l’essence de sa vision démocratique et sociale et repenser ses fondements. 

Dans Du Contrat Social, Jean-Jacques Rousseau discute de la coopération comme un fondement de la société civile. Il croit que les individus peuvent atteindre une forme de liberté collective par le biais de la volonté générale, où chacun coopère pour le bien commun. 

Karl Marx quant à lui, aborde la coopération dans le cadre du travail et de la production collective. Il critique le capitalisme qui aliène les travailleurs et plaide pour un système où la coopération entre travailleurs est centrale, éliminant l'exploitation et permettant une répartition équitable des richesses. 

Jean Jaurès abonde sur la coopération comme fondement de la société. Il voit la coopération comme une force essentielle pour construire une société plus juste et égalitaire. Il a également abordé la question de la coopération entre partis politiques, en particulier dans le contexte de l'unité socialiste et des alliances nécessaires pour promouvoir des réformes sociales et démocratiques. Il croit que les divisions internes affaiblissaient la capacité du socialisme à apporter des changements significatifs. Il soutient l'idée d'alliances électorales entre les partis de gauche, y compris les socialistes, les radicaux et d'autres forces progressistes. Il voit ces alliances comme un moyen de gagner des élections et de mettre en œuvre des réformes sociales et économiques. L'objectif est de créer une coalition capable de gouverner et d'introduire des politiques favorables à la classe ouvrière. Toutefois, Jaurès insiste sur le fait que ces compromis ne doivent pas trahir les principes fondamentaux du socialisme. Il croit qu'il est possible de trouver un terrain d'entente sans sacrifier les idéaux de justice sociale, de solidarité et de démocratie. 

Les écologistes politiques soulignent que la crise climatique nécessite une action rapide et concertée, transcendant les lignes partisanes. Des penseurs comme Bruno Latour et Naomi Klein insistent sur l'importance de construire des coalitions larges pour mettre en œuvre des politiques ambitieuses en matière de climat et d'environnement. 

Des penseurs comme André Gorz et Murray Bookchin ont plaidé pour des alliances entre les partis écologistes et les mouvements socialistes ou de gauche. Ils croient que l'intégration des préoccupations écologiques et sociales peut renforcer le mouvement vers une société plus durable et équitable. 

De nombreux théoriciens écologistes, comme Elinor Ostrom et Rob Hopkins, soutiennent des formes de gouvernance participative et décentralisée. Ils estiment que la coopération entre différents partis politiques peut être facilitée par des processus de décision inclusifs, où les citoyens et les communautés locales jouent un rôle actif. Les écologistes politiques mettent l'accent sur la notion de "transition juste", qui vise à s'assurer que les travailleurs et les communautés vulnérables ne sont pas laissés pour compte dans la transition vers une économie verte. La coopération entre partis est vue comme essentielle pour élaborer des politiques qui protègent les droits sociaux et économiques tout en atteignant les objectifs environnementaux. 

Christophe Dejours psychanalyste et psychologue du travail français, défend fortement la coopération comme ingrédient de bonne santé psychologique, sociale des organisations collectives. Mais elle implique des dimensions psychologiques telles que la confiance, le respect mutuel, et la solidarité et nécessite également de surmonter des conflits et des rivalités potentielles. 

Cette dimension humaine de la coopération qui nécessite de refonder des rapports politiques de confiance et de respect mutuel, semble être au cœur de la mutation politique et sociale que nous avons à opérer. Comment créer des liens suffisamment solides et durables pour structurer la force nécessaire à la création du monde que nous voulons défendre, sans créer les conditions d’une confiance politique ? Il ne s’agit pas d’affects entre individus mais, de remettre au centre des rapports un projet politique d’Union et des pratiques qui favorisent l’implication de chacun plutôt que la défiance et la rivalité. Il est possible de soutenir l’expression d’une conflictualité de positions et d’idées sans avoir recours à des pratiques politiques crapuleuses et indignes. Il ne faut pas confondre la conflictualité démocratique et les tensions politiques qui mettent le corps politique au travail de manière féconde, avec les conflits indignes de personnes et les pratiques toxiques. 

La démocratie doit s’assainir, mettre en place les conditions d’un véritable débat public, et renoncer aux dérives comportementales qui affaiblissent sa structure même. 

Se battre pour renforcer nos pratiques politiques c'est une manière de lutter contre les idées et les pratiques de l'extrême droite. La démocratie est à défendre du local au global: au sein de nos associations, de nos partis politiques, de nos collectivités locales, dans la relation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif comme au sein des organisations internationales. 

La coopération c'est aussi celle des peuples, au sein d'associations et d'organisations internationales. Sans le renforcement des coopérations et du dialogue entre les peuples, nous irons vers la guerre. 

Faisons de ce temps de l’histoire une occasion pour refonder radicalement nos pratiques politiques et incarner le temps de changement de paradigme civilisationnel : de la compétition à la coopération. 

Texte ouvert à signatures : https://framaforms.org/le-temps-de-la-cooperation-politique-1718051037 

Delphine Rochet Porte-Parole EELV Limousin Comité Politique Régional EELV Limousin
Cyril Nouhen Co-secrétaire EELV-Limousin
Chloé Herzhaft Élue Écologiste municipale et communautaire de Corrèze. Porte-parole EELV Corrèze.
Amandine Dewaele Conseillère régionale de Nouvelle Aquitaine - Corrèze
Robert Simon Membre du bureau de la commission paix et désarmement et comm transnationale